Quand je serai mort
Quand je serai mort, il ne restera plus de moi qu'un petit tas d'os enveloppé de chairs adipeuses. J'espère alors être bien gras afin de fournir aux légions nécrophages un abondant festin. Je rendrai ainsi un ultime service à l'univers. Je restituerai le viatique de molécules et de minéraux qui m'a été confié après les avoir entraînés dans de vaniteuses aventures.
L'incinération m'apparaît prétentieuse. Vouloir
disparaître en fumée, c'est craindre qu'on fasse de nos chairs mortes un usage
indigne. Pourtant, éviter aux siens la charge de s'occuper d'un corps n'est pas
une préoccupation inutile. La fascination extraordinaire qu'ont les vivants
pour les restes des morts me pousserait bien aussi à leur recommander de faire
disparaître au plus vite ce qui n'est plus moi. Faites ce que vous voulez de
mes hardes, je suis convaincu de n'en pas souffrir. Mais de grâce, laissez
vos souvenirs en paix.
Lorsque je serai mort, il ne restera plus de moi
dans la mémoire de ceux qui m'ont connu vivant, qu'une nébuleuse de souvenirs.
Mais qu'en était-il de mon vivant ? N'étais-je pas déjà qu'un puzzle de
sentiments et de passions éparses, rangées çà et là dans les circonvolutions
cérébrales de ceux que le tourbillon de la vie m'a fait croiser ? Mort, je les
priverai du positif de l'image et cela leur évitera une douloureuse et
permanente comparaison entre ce que je suis et ce qu'ils m'espèrent être.
Mort, enfin je leur appartiendrai totalement. Mes probables vices glisseront
progressivement vers de belles vertus, sauf quelques uns qu'ils magnifieront
pour s'encanailler et mes vertus incertaines sombreront dans l'oubli qui sied
aux bonnes idées quand elles ne sont pas les nôtres.
On ne retient des morts que ce qui nous fait vivre.